Plages en ville

Cette présentation est extraite du livre Plages en ville, baignades en Marne, publié en 2003 aux éditions Johanet.

 

L’objectif de cette étude est de montrer qu’auparavant la Marne était différente ; il y avait une vie sur ses berges : baigneurs, canotiers, fêtes nautiques, …autant d’activités que la modernité et la pollution ont renvoyé vers d’autres rivages, notamment les bords de mer. Pourtant, jusque dans les années 1960, la Marne était un lieu de villégiature, elle était même considérée comme une destination exotique à la fin du XIXe siècle, quand le chemin de fer amenait les Parisiens, de toutes origines confondues, sur ses rives. Elle était la destination de choix d’un dimanche d’été, quand les moyens de transports ne permettaient pas aussi facilement qu’aujourd’hui de découvrir le monde. 

 

Les bords de Marne apportent une part d’exotisme à une simple promenade, et revêtent alors une importance toute particulière : celle d’offrir à ceux qui n’en n’ont pas les moyens ou tout simplement pas le temps, la possibilité de s’évader un bref instant de la morosité citadine. En effet, l’urbanisation de la région parisienne repousse tous les jours le naturel que l’on va chercher de plus en plus loin, c’est un mouvement sans fin ; il faut maintenant s’éloigner de plusieurs dizaines de kilomètres de Paris pour se rendre compte à quoi pouvaient ressembler les bords de Marne dans la première moitié du XXe siècle, époque où se sont constituées la plupart des baignades. Le développement urbain mais aussi technique pousse toujours à conquérir de nouveaux territoires vierges et exotiques, à aller voir ailleurs ; ici le « ailleurs » est aux portes de Paris, et c’est ce qui fait tout l’intérêt du sujet de cette étude : faire redécouvrir au lecteur qu’exotisme ne rime pas forcément avec voyage au bout du monde.

 

Qu’est-ce qu’une baignade en rivière ? C’est à peu près la même chose qu’une plage au bord de la mer, sauf que l’eau y est différente : son bruit est tout autre, ce n’est pas celui des vagues mais celui du courant ; la baignade ou plage en rivière est la transposition plus ou moins exacte d’une plage de mer sur les bords d’un cours d’eau : on y retrouve le sable, le soleil, les cabines, les jeux d’enfants, les sons, l'atmosphère et la douceur d’un lieu fait pour la détente. Mais le paysage y est différent, l’accès plus facile. C’est la plage en ville. La Marne, unité de lieu, de temps et d’action dans cette étude, apporte les variations qui font de ces plages d’eau douce un lieu passionnant ; le courant, la couleur de l’eau, la nonchalance que suscite une promenade sur ses berges, offrent aux baignades un cadre idéal dans lequel elles ont forgé leur particularisme.

 

Objets architecturaux non encore identifiés du XXe siècle, les baignades, qui ont finalement connu une courte existence, ont pour la plupart disparu. Elles n’ont laissé que peu de traces, les cartes postales jaunies par le temps sont pratiquement le seul témoignage sur ces lieux de vie et de fête.

 

La Marne n’est pas la seule rivière en Île-de-France à avoir connu l’implantation de baignades ; d’autres établissements ont existé, notamment sur la Seine en aval de Paris ou sur l’Oise avec la plage de l’Isle-Adam. Mais les boucles de la Marne, de la confluence avec la Seine à Gournay, offrent un panel topographique varié et, surtout, connaissent à la fois des zones fortement urbanisées et des zones rurales en s’éloignant de Paris. Cela a permis de mettre en valeur des typologies de baignades différentes. Par ailleurs, les méandres de la Marne étaient un haut lieu de villégiature parisienne depuis la fin du XIXe siècle, donc le cadre d’étude parfait pour la mise en valeur d’un lieu de loisirs. 

Origines

 

La baignade en rivière, particulièrement en Marne, s’est développée en étant tiraillée entre le bain pour l’hygiène et la pratique sportive de la natation. Mais elle s’est vite défaite de simples pratiques d’ablution pour devenir un lieu de sport et de détente au tout début de son développement. Depuis le XVIIIe siècle, des bains sur la Seine sont apparus, il s’agissait des toues et des gores à l’aménagement sommaire ; ce n’est qu’à la fin de ce siècle qu’apparaissent les premières écoles de natation sur la Seine, les ancêtres des baignades en Marne. Plus tard, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les premières piscines hors Seine font leur apparition ; là commence le déclin des établissements de bains en rivière, qui chassés par la modernité – la qualité de l’eau de la Seine et le développement d’un important trafic fluvial – vont trouver refuge autour de Paris, notamment sur la Marne. Les piscines couvertes, presque un siècle plus tard, prendront le dessus sur les baignades en rivière, agonisantes, à la fin des années 1960. 

 


Le développement du chemin de fer au milieu du XIXème siècle a rendu plus accessible aux parisiens la banlieue qui a alors commencé son développement, mais qui connaissait déjà de nombreuses baignades sauvages sur la Marne ou l’Oise. Les baignades en Marne, telles que présentées dans cette étude, sont apparues dans les années 1930. A la même époque, les stations huppées de la côte normande ou de la Manche, comme Trouville ou le Touquet, se dotent de piscines de mer, qui permettent aux baigneurs de s’affranchir des contraintes de l’océan et de se baigner en toute sécurité. Les baignades en Marne, issues des bains sur Seine à Paris, prendront ces piscines comme modèle en reproduisant leur architecture à une plus petite échelle. Les bords de Marne ont d’ailleurs connu un essor parallèle à celui des stations balnéaires.

 

 

Chronologie

 

On s’est toujours baigné dans la Marne, comme on le faisait en Seine dès le XVe siècle. En 1608, Bassompierre, maréchal de France et diplomate (1579-1646), signalait déjà que les berges de la Marne et de la Seine étaient très fréquentées, en particulier par les baigneurs ; il précise d’ailleurs dans ses Mémoires  que « l’eau de la rivière fut si bonne pour s’y baigner que, plus d’un mois durant, on voyait depuis avant le pont de Charenton jusques en l’Isle du Palais, plus de 4000 personnes dans l’eau. »

 

Les baignades en Marne se sont développées surtout à partir des années 1920-1930, époque où ont été construites la plupart de ces établissements. Leur apogée se situe après la Deuxième Guerre mondiale, particulièrement dans les années 1950, et les années 1960 connaîtront l’extinction progressive de ces établissements, jusqu’à ce que la Marne soit interdite à la baignade en 1970, pour cause de pollution excessive. Certains ont été happés par l’urbanisation galopante de la banlieue, où n’importe quelle parcelle libre faisait l’objet de grandes convoitises de la part des communes ou des promoteurs, attirés par des terrains en bord de rivière à la situation exceptionnelle. D’autres ont été reconvertis en base nautique comme la plage de Champigny, dernier témoin encore visible aujourd’hui de cette époque glorieuse pour les baignades.


Implantation et relation au site

 

On trouve suivant les statuts, différentes baignades : elles pouvaient être sauvages, privées, associatives ou publiques - municipales en général -. Il est intéressant de noter que, souvent, les statuts d’une même baignade ont évolué, notamment une baignade sauvage qui est officialisée, ou une baignade privée qui est rachetée par la commune qui l’accueille. Les baignades pouvaient avoir des origines différentes : un certain nombre étaient en fait l’officialisation d’une baignade sauvage, souvent le fait d’une commune soucieuse de réduire le nombre de noyés encore très important dans les années 1950 ; d’autres sont la continuation d’une baignade ancienne qui avait été abandonnée pendant la Seconde Guerre mondiale, par exemple, puis rachetée après par la municipalité qui relance l’activité et développe le site comme sur l’île Sainte-Catherine à Créteil. D’autres, enfin, ont été créées de toutes pièces, souvent par des communes, telle la plage de Neuilly-sur-Marne.

 

Les baignades en Marne se sont multipliées, nous l’avons évoqué, dans le cadre du développement touristique des bords de Marne, à travers deux pratiques, la partie de campagne et la villégiature, à l’origine de l’urbanisation de la banlieue. Mais quand les premiers établissements de bains apparaissent sur la Marne, les communes riveraines sont déjà très développées : le chemin de fer et les grands axes routiers amènent depuis déjà plusieurs décennies les Parisiens en mal de campagne sur les bords de Marne ; les baignades les plus importantes – particulièrement celles situées à l’est et au nord de Saint-Maur, et sur le territoire des communes de Champigny,  Joinville et Nogent - se sont donc développées près des gares du « train des plaisirs » - la ligne la Varenne - Bastille -  et des grandes voies routières telles que la nationale 4. 

 

Toute la banlieue à l’est de Paris ne s’est pas développée en même temps. Au milieu du XIXe siècle, des communes comme Créteil, Saint-Maur, Champigny, Nogent ou Joinville, ne sont encore que des villages, bien que le chemin de fer se soit déjà implanté dans la région. Au début du XXème siècle, seules les zones non inondables sont loties à travers de grandes opérations immobilières, liées au développement du chemin de fer : il s’agit, par exemple, du lotissement du Grand Parc à Saint-Maur, déjà évoqué, mais aussi de bien d’autres dans les communes riveraines. En revanche, les zones d’une commune comme Champigny, par exemple, qui ne sont pas à l’abri des inondations, tel le futur quartier du Maroc, qui accueillera plus tard la plage de Champigny, sont très peu construites. A la même époque, les villes situées plus à l’est, jusqu’à Gournay et au-delà, ne sont pratiquement pas urbanisées. Dans les années 1930 en revanche, époque où, rappelons-le, la plupart des baignades se sont développées, ces mêmes baignades s’implantent dans des quartiers déjà urbanisés. C’est particulièrement vrai pour les communes situées proches de Paris, telles Saint-Maurice et Maisons-Alfort. La baignade en Marne est donc un lieu de loisirs urbain. Certaines pourtant, comme la plage de Gournay, se sont implantées dans des zones encore rurales ; il s’agissait le plus souvent d’établissements à vocation touristique. D’autres baignades devaient répondre à un besoin local, en général le  manque de lieux d’accueil pour la pratique de la natation ; celles-ci se trouvaient donc davantage au cœur de la ville : la baignade du Parc à Saint-Maur en est un bon exemple.

 

Exception faite du bassin de Nogent-Joinville, espace domestiqué, la plupart des berges de la Marne n’étaient pas encore aménagées avant la Deuxième Guerre mondiale. Les baignades,  situées en dehors de cette zone bien particulière, bénéficiaient donc en général d’un environnement agréable et préservé : la Marne se trouvait être et est encore, dans certains secteurs, un poumon vert pour les villes qu’elle traverse. Les berges étaient, bien entendu, le terrain d’accueil des baignades et différentes implantations pouvaient être possibles, souvent contraintes par la nature et la largeur de la berge. Deux cas se présentaient : soit l’espace entre la rive et la route d’accès était grand, alors la baignade possédait un espace suffisant pour se muer en station balnéaire ; c’était le cas de la plage de Gournay, de la plage de Champigny ou de celle de l’Isle-Adam sur une autre rivière, l’Oise. Soit il ne subsistait qu’un chemin de halage étroit au-delà de la route ou du quai, et la baignade se faisait plus petite, longitudinale, et moins développée. C’était le cas de nombreuses baignades en zone urbanisée : nous citerons la baignade de l’U.S.M. à Nogent et la piscine de l’Alsace-Lorraine au Perreux. La situation de la baignade du restaurant Convert à Nogent est particulière : sa faible largeur n’est pas due à une route mais au restaurant imposant qui l’accueille, installé juste au bord de l’eau. 

 

Il existait deux catégories principales de sites accueillant des baignades : on trouvait tout d’abord les emplacements d’une véritable richesse naturelle comme à Gournay, installée sur 250 mètres de plage de sable fin, ou le Banc de Sable à Joinville ; mais le plus souvent, il faut le reconnaître, les baignades s’installaient sur des sites sans grande particularité, simplement le long de la berge, avec un aménagement longitudinal, par exemple,  la baignade municipale du Parc à Saint-Maur. A part un ou deux cas isolés, le site n’était pas forcément choisi pour sa qualité paysagère : soit la baignade consistait à officialiser une baignade sauvage, auquel cas le site pouvait avoir un certain intérêt - notamment dans des zones encore rurales tardivement comme le Perreux ou Bry-sur-Marne -, soit elle se trouvait dans un milieu déjà urbanisé ; dans cette situation l’aspect paysager n’était pas primordial, il s’agissait plutôt de répondre, comme nous l’avons déjà évoqué, à un besoin local : de nombreuses associations de quartier exigeaient une baignade, car leur secteur était mal desservi, les piscines couvertes « modernes » commençant seulement à se développer en banlieue à cette époque.

 

Les établissements de bains sur la Marne étaient souvent très fréquentés, en particulier ceux qui avaient une vocation touristique, comme à Gournay, qui attirait un nombre très important de Parisiens en congé, ou son équivalent au nord de Paris, la plage de l’Isle-Adam.. Ailleurs,  les baignades, sauf rares exceptions, n’étaient pas un pôle d’attraction pour les loisirs sur la Marne, c’était plutôt le contraire : un certain nombre d’entre elles se sont installées dans des zones déjà touristiques ; elles n’avaient donc pas forcément un rôle moteur pour le développement des loisirs sauf, bien entendu, pour quelques cas comme la plage de Gournay. 

Éléments d’architecture

 

 

Beaucoup d’éléments récurrents apparaissent dans les différentes baignades étudiées : un ou plusieurs bassins flottants, des vestiaires et cabines, des douches ainsi que des sanitaires, un quai solarium en béton ou une plage en sable - le plus souvent artificielle -, un plongeoir et enfin, un bar ou une buvette. Il s’agit maintenant d’identifier les caractéristiques principales de ces différentes entités constitutives des baignades.

 

Le bassin est l’élément principal des baignades, leur noyau dur, celui autour duquel tout s’organise. Deux grands principes régissent l’aménagement de cette entité : soit le bassin est flottant, placé directement dans le lit de la Marne, structuré par une ossature bois et un ponton le ceinturant, comme au sein de la baignade du Parc à Saint-Maur ; soit la baignade est encastrée dans la berge, ce qui s’accompagne souvent d'installations plus conséquentes, comme à Joinville au Banc de Sable : l’établissement est davantage développé et les constructions y paraissent moins légères, plus durables. Concernant les bassins en bois, il existe une grande variété de tailles et de sophistication. Les éléments les plus complets sont dotés d’une mécanique complexe, concernant notamment le fond dont la hauteur pouvait être réglable, suspendu à des chaînes. Il s’agit là du principal héritage des établissements en Seine.

 

Les cabines et vestiaires, fréquemment accompagnés de douches, de sanitaires, mais surtout d’espaces d’accueil ou de détente - bars, buvettes, restaurants quelquefois - constituent la partie bâtie des baignades, l’élément qui concentre véritablement le style de ces établissements. Cet ensemble construit adopte souvent une forme longitudinale, parallèle à la rivière, et ce en raison de la faible place qui lui est accordée. Certains ensembles de cabines sont d’apparence très simple, presque éphémère, sûrement pour qu’ils puissent être démontés une fois la saison finie, d’autres prenaient beaucoup plus d’ampleur, comme à Gournay ou à la plage de Champigny, formant de véritables constructions. Il est intéressant de noter que pour certaines baignades, les cabines ont remplacé les tentes installées initialement ; elles en reprenaient la fonction, parfois même les couleurs, et de ce fait ont connu la même évolution que les tentes de plage, rapidement transformées en cabines. 

 


Les baignades étaient le lieu d’activités estivales, les espaces extérieurs avaient donc une place importante dans leur aménagement et pouvaient prendre plusieurs formes. Le plus souvent, un quai en béton, de taille variable, faisait la transition entre les cabines et le bassin ; parfois une largeur suffisante permettait aux baigneurs d’y prendre des bains de soleil. D’autres établissements plus importants, comme Gournay, offraient de véritables plages, à de rares moments naturelles, le plus souvent artificielles. Ces espaces renforçaient la sensation de se trouver au bord de la mer, et rapprochaient encore une fois les baignades des plages maritimes. D’une manière plus générale, ces espaces extérieurs, qu’ils soient plages ou quais solariums, distribuaient les différentes entités de la baignade et constituaient donc le principal espace de circulation.

 

Le plongeoir, véritable tête de proue des baignades, est l’élément le plus remarquable de ces établissements : celui-ci fonctionnait comme un signal qui permettait de repérer les baignades au loin, et il faisait la fierté des propriétaires ; c’était d’ailleurs le lieu d’exploits, des concours et championnats de plongeons, qui participaient à la renommée de la baignade. La « girafe », nom que l’on donnait à ces plongeoirs, à cause de leurs proportions très verticales, pouvait prendre plusieurs formes : une lourde planche fixée au-dessus de l’eau, un petit édicule en bois posé sur la berge, ou le grand plongeoir en bois ou en métal de plusieurs étages, qui domine la Marne de sa hauteur ; les possibilités étaient variées. Certains avaient été dessinés par des architectes, comme le plongeoir de la baignade du Parc à Saint-Maur, conçu par Lucien Graf. Plus généralement, ces structures, à l’aspect un peu frêle, rappelaient beaucoup les constructions de fêtes foraines, royaume de l’éphémère, mais aussi les jetées et postes de surveillance que l’on trouvait sur les plages, notamment à Trouville. Le plongeoir était l’élément le plus ostentatoire des baignades, leur porte-drapeau, au sens propre comme au figuré, et il participait au paysage des bords de Marne en le jalonnant de hautes structures, identifiables au loin. 

 

 

Typologies

  

Plusieurs facteurs évoqués jusque-là entrent dans la composition de différents types de baignades, notamment le modèle ou la référence stylistique, les éléments d’architecture et les matériaux employés. Ces facteurs permettent l’établissement de deux catégories de typologies: la première classe les baignades par le degré de leur aménagement, la seconde par leur type architectural.

 

Suivant les lieux et le contexte, l’aménagement d’une baignade peut varier. On distingue quatre types : le premier est la baignade sauvage qui ne possède aucun aménagement ; elle compte parmi les lieux de bains les plus anciens et est souvent à l’origine de baignades aménagées. On dit alors qu’une baignade sauvage a été officialisée par son nouvel aménagement. Les exemples ne manquent pas dans cette étude, notamment la baignade du Banc de Sable à Saint-Maur ou la baignade du Pont de Champigny ; ces lieux étaient très fréquentés l’été, et ils étaient choisis pour leur qualité paysagère ou pour leur originalité : une zone sauvage mais malgré tout accessible facilement, ou une plage de sable naturelle, telle celle de Gournay au XIXe siècle. Le second type rassemble les baignades peu aménagées, à cheval entre la baignade sauvage et la baignade réellement développée. Elle possède en général une apparence sauvage propre à la première, et accueille les équipements qui caractérisent la deuxième, mais à une échelle moindre et d’aspect plus rudimentaire. On peut citer deux exemples de ce type de baignades : la baignade du Pont de Créteil à Saint-Maur et la baignade du Terminus à Joinville. 

 

Le troisième type de baignades, classées suivant le degré de développement, concerne la majorité des baignades étudiées. Ce sont celles qui possèdent tous les aménagements typiques d’une baignade, tout en gardant une échelle raisonnable. Il faut entendre par-là que les baignades hors norme, telles que la plage de Gournay ne rentrent pas dans cette catégorie, mais font l’objet d’une classification à part. Elles composent la dernière catégorie de baignades : il s’agit d’établissements tels que Gournay donc, mais aussi d’autres, peut-être pas aussi imposants : par exemple, la plage de Maisons-Alfort, la baignade du Banc de Sable à Joinville, les plages municipales de Champigny et de Neuilly-sur-Marne. Qu’elles soient publiques ou privées, elles font partie des plus grandes baignades parce qu’elles regroupent des activités autres que le simple bain dans la Marne : restaurant, guinguettes, terrains de jeux ou de sport, bains douches, et même parfois un camping. Il est possible qu’elles offrent aussi quelques éléments plus insolites, tels des toboggans géants, des péniches restaurants, un dancing ou simplement un espace pour la nage qui sorte de l’ordinaire des baignades ; on pense bien entendu au « petit golfe » que forme le bassin du Banc de Sable à Joinville.

 

La classification des baignades suivant le type architectural vient en complément de celle présentée précédemment. On distingue trois types architecturaux, qui, nous le verrons, dépendent de l’époque de construction de la baignade, mais aussi de son degré d’aménagement ; ce classement concerne davantage les baignades aménagées et très aménagées. La première catégorie est celle de l’architecture pittoresque, typique de celle des villas et pavillons de banlieue ; le meilleur exemple est la baignade municipale de Saint-Maurice, ouverte depuis 1898. L’utilisation du bois pour la structure et la décoration est intense et rapproche cette baignade de la plage de l’Isle-Adam, apparue à la même époque. Le style anglo-normand caractérise cette baignade, où la tuile plate, le bois pour les colombages et les balustrades sont utilisés. Le second type de baignade correspond à celles qui emploient une architecture balnéaire, utilisant des références nautiques ; il s’agit de baignades où l’emploi du béton est prépondérant : on peut citer la plage de Maisons-Alfort, la baignade Sainte-Catherine à Créteil, la piscine du Lido à Chennevières ou celle du Beach à Saint-Maur, mais uniquement pour la piscine de ville. Le dernier type architectural recensé est hybride : il s’agit de baignades où des éléments ont été construits en plusieurs étapes, par exemple, la baignade du Beach, et de baignades mélangeant les styles, telle que la plage de Champigny. Dans les deux cas, un collage de différents types architecturaux y est visible : dans le cas de la piscine du Beach, il concerne deux parties de l’établissement construites côte à côte, la baignade sur la Marne et la terrasse du restaurant Grosnier employant un vocabulaire formel pittoresque, et la piscine de ville, construite dans les années 1930, qui témoigne d’une architecture balnéaire. S’agissant de la plage municipale de Champigny, le collage s’opère sur un même édifice, le bâtiment des vestiaires : le toit en tuile mécanique rapproche l’établissement de l’architecture pittoresque des bords de Marne, tandis que la forme longitudinale du bâtiment, la circulation devant les cabines, rappelant le pont d’un paquebot, et les pergolas en béton confirment aussi l’appartenance de la baignade au type balnéaire. Cette architecture hybride est renforcée par la dualité du bâtiment qui offre, comme nous l’avons vu, deux façades totalement opposées sur la Marne et du côté de la rue.  


Le langage des baignades

 

Les baignades sont, pour certaines, comme nous avons pu le voir, des stations balnéaires en réduction ; elles ont donc non seulement reproduit l’architecture balnéaire des villes de bord de mer, mais aussi employé tout un langage ; elles se sont appropriées un certain nombre de dénominations à consonance balnéaire : plage, banc de sable, noms d’établissements (le Petit Deauville, le Petit Trouville…). Les baignades faisaient tout leur possible pour que les gens se croient au bord de la mer ; elles fonctionnaient comme un décor de vacances qui avait donc aussi son langage. Ce décor ne serait pas complet si les rues permettant d’accéder aux baignades n’utilisaient pas elles aussi un vocabulaire approprié : la « rue de la Plage » à Champigny ou la « rue de la Baignade » à Noisy-le-Grand. D’autres rues n’employaient pas de termes nautiques mais des dénominations tout aussi explicites : « rue du Site Agréable » à Neuilly-sur-Marne, ou « quai de la Rive Charmante » à Noisy.

 

Par ailleurs, certains articles de journaux, surtout dans les années 1930, parlent des baignades et emploient eux aussi un langage balnéaire : « Saint-Maur plage », « les plages d’eau douce de la région parisienne », « Deauville à Paris ». Il en va de même pour les textes et règlements officiels qui de plus, reflétaient les modes vestimentaires de l’époque, et surtout l’obligation de porter des vêtements pour se mettre à l’eau, ce qui n’était pas toujours le cas, surtout dans les baignades sauvages et anciennes.


La disparition  des baignades

 

Peu de baignades sont encore visibles de nos jours. Seul le site de la plage de Champigny existe encore dans son intégralité, même s’il a changé d’affectation. Des autres établissements, il ne reste plus qu’un élément de quai, des gradins - baignade de Saint-Maurice -, ou le bassin - Maisons-Alfort -. Ces éléments subsistent encore car ils sont en béton et  leur démolition serait trop coûteuse, mais ils ne sont sûrement pas conservés par les communes comme témoignage d’une époque révolue : les baignades n’ont jamais fait l’objet d’une politique de restauration et sont fréquemment tombées dans l’oubli. La plupart du temps, les baignades ont été soit détruites dans le cadre d’un programme de réfection des berges, soit tout simplement remplacées par d’autres activités. Il s’agit souvent de ports de plaisance, qui d’ailleurs, comme nous l’avons vu à Joinville, réemploient certains éléments de la baignade. D’autres établissements ont été remplacés par des constructions à vocation touristique, comme la plage de Neuilly-sur-Marne, disparue au profit d’un camping et d’un port. On peut compter parmi les plus chanceuses, en dehors de la plage de Champigny, la baignade de Maisons-Alfort, déjà citée, qui a presque totalement disparue, exception faite du bassin, joliment intégré dans un parc au bord de la Marne. Mais on ne sait pas si cet état de fait est volontaire, ou si les vestiges de la baignade seront prochainement détruits, personne ne se rappelant que ce lieu a accueilli autrefois une plage sur la Marne.

 

Les raisons qui ont conduit à la disparition des baignades sont multiples. Le principal motif est bien entendu l’interdiction de baignade dans la Marne pour cause de pollution excessive, officialisée par l’arrêté préfectoral n° 686 du 31 juillet 1970 ; ce document vaut acte de décès pour les établissements de bains sur la Marne, qui doivent être démontés dans les plus brefs délais. Une autre raison possible est souvent le manque de places de stationnement autour des baignades qui accueillaient beaucoup de monde, les clients de ces lieux utilisant plus l’automobile que le train pour s’y rendre à partir des années 1950. Mais peut-être est-ce aussi la concurrence des piscines couvertes qui connaissent un grand développement après 1960. Les baignades en Marne ont pu apparaître désuètes, alors que les piscines permettaient de se baigner toute l’année, quel que soit le temps, dans une eau en circuit fermé, à la qualité constamment contrôlée. Le principe actuel, tout à fait louable par ailleurs, qui exige partout et continuellement plus d’hygiène, a créé un monde aseptisé. Et les baignades en Marne n’ont pas su trouver leur place dans ce monde.

 

La Marne et ses boucles n’avaient pas l’exclusivité des baignades en rivière ; d’autres établissements offraient leur plage aux estivants des berges de la Seine ou de l’Oise. L’est de la région parisienne a toujours été moins favorisé que l’ouest et ne bénéficie pas, aujourd’hui encore, d’une image positive dans la conscience collective : il représente la banlieue populaire, grise et triste, mais cela ne date pas d’aujourd’hui : pendant des siècles, l’aristocratie a privilégié Saint-Germain-en-Laye ou Versailles pour la villégiature. Louis XIV en bâtissant le château de Versailles, et la ville qui s’en est suivie a définitivement ancré dans l’ouest de la région parisienne, la villégiature et les loisirs de la noblesse. Cette situation perdure aujourd’hui, puisque des départements comme les Hauts-de-Seine ou les Yvelines bénéficient d’une image plus positive concernant les loisirs, qu’un département comme le Val-de-Marne. Les boucles de la Marne pourtant, particulièrement celles de notre zone d’étude, ne manquent pas d’atouts. D’ailleurs, Louis XIV avant de réaliser Versailles a visité  le village de Chennevières et son coteau qui comme nous l’avons vu participait au paysage « sauvage » de la boucle de Saint-Maur. Tandis qu’il appréciait la vue du haut de la colline, le Roi Soleil aurait eu cette réflexion : « La nature a déjà trop fait pour ce pays, je veux tout créer ». Ainsi, si Louis XIV n’avait pas eu cette volonté de contrôler à tout prix la nature, volonté qui avait une forte portée symbolique, le château de Versailles aurait pu être bâti sur les hauteurs de Chennevières, ce qui aurait sûrement modifié le cours de l’histoire et la destinée des boucles de la Marne. Cette anecdote historique permet de montrer que la Marne, souvent caricaturée en « littoral pour rire », souffre d’une image dévoyée : elle n’est pas seulement le lieu des guinguettes et des bals musettes, elle bénéficie aussi de paysages pittoresques certes, mais surtout magnifiques, composés d’îles redevenues sauvages et de berges verdoyantes, comme le montre le voyage effectué sur la Marne précédemment. Les berges de la Marne ont su, en préservant un équilibre entre les loisirs et  la nature, créer un lieu où toutes les activités liées à la rivière étaient réunies : le canotage, la voile, les guinguettes bien entendu, et la natation au sein des baignades.

 

La personne qui conserve une image négative des boucles de la Marne ne peut donc s’imaginer qu’un jour, des plages de sable fin, établies dans un paysage naturel dans certains cas, plus urbain dans d’autres, accueillaient les baigneurs venus se rafraîchir dans la rivière, comme ils l’auraient fait dans la mer. Le monde d’aujourd’hui, aseptisé, ne veut plus avoir de doute concernant l’hygiène d’un lieu ou d’un élément. La Marne n’offre pas, actuellement, même si des progrès ont été faits, une eau suffisamment propre pour que l’on puisse s’y baigner. L’idée de se baigner en ville, si près de Paris, dans la Marne ou dans la Seine, est de nos jours totalement incongrue, alors que le bain en rivière se pratique toujours en France, hors les régions urbanisées. Si les baignades en Marne sont tombées dans l’oubli, c’est à cause de l’image que l’on a de l’état de la Marne, qui n’est plus aujourd’hui le même qu’il y a trente ou quarante ans. La pollution a fait non seulement des ravages pour la nature, mais aussi pour toutes les activités nautiques qui ne peuvent pas exister sans une rivière propre. 

 

Les baignades en Marne avaient, effectivement, une relation privilégiée avec l’eau. Elles offraient, contrairement à une piscine de ville, couverte et chauffée, un contact direct avec la nature de l’eau et le courant de la rivière. C’était là un de leurs nombreux atouts, et c’est aussi ce qui les a perdues : leur trop forte dépendance vis-à-vis de l’eau et de sa dégradation trop rapide, a causé leur disparition. Cette relation directe avec la rivière a façonné leur particularisme, en créant une nouvelle typologie, située à cheval entre les piscines couvertes et les plages de bord de mer. Elles offraient la possibilité de se baigner dans un milieu naturel, sans l’obligation d’un long périple pour atteindre l’océan.

 

Aujourd’hui, les choses changent, les guinguettes sont à nouveau à la mode, de gros efforts de dépollution ont été faits, même si la rivière est toujours interdite à la baignade ; certaines promesses de bains dans la Seine en l’an 2000 n’ont pas été tenues… Quoiqu’il en soit, on assiste aujourd’hui à un ralentissement de la pollution, à une meilleure gestion des eaux usées et à une prise de conscience collective, notamment de la part des communes traversées par la Marne, que cette dernière est peut-être autre chose qu’un long ruban d’eau qui traverse la morne couronne parisienne. Il en va ainsi d’associations qui se battent pour que les choses changent ; malheureusement ces communautés diverses et variées sont divisées : d’un côté les défenseurs de l’héritage historique - les guinguettes, les bals… -, de l’autre ceux de l’environnement et de l’équilibre écologique ; force est de reconnaître que les deux points de vue sont souvent incompatibles. Le développement d’un tourisme, même maîtrisé, se fait souvent contre le respect de l’environnement de la Marne « sauvage » ou de ce qu’il en reste.

 

 

Un exemple d’aménagement futur : une plage en ville à Champigny sur Marne 

 

En parallèle de l’étude et du recensement des lieux de baignades, un projet de réaménagement de la plage de Champigny sur Marne a été imaginé, dont on peut retrouver les détails ici